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Superscript

Être vieux sans être adulte

Malgré les demandes reçues, la documentation accumulée et toute la volonté que j’avais de produire une visualisation sur le vieillissement, je n’y suis pas arrivé.

Peut-être parce que mes visualisations sont conçues pour aider à supporter des situations difficiles comme la douleur, l'anxiété, la solitude, la culpabilité et le vieillissement -en soi- n’est pas une situation difficile. Vieillir c’est un état de fait normal et naturel lié au passage du temps. Bien sûr que vieillir signifie souvent plus de fragilité, de vulnérabilité, de problèmes de santé mais pas que.

Le passage du temps amène de l’usure, favorise la fragilisation des tissus et des structures, bien sûr, ce qui favorise l'occurrence de blessures entraînant une certaine perte d’autonomie, bien sûr. Mais le vieillissement favorise aussi le développement d’une certaine sagesse, l’atteinte d’un équilibre longtemps cherché, amène une certaine sérénité. Mais pas toujours non plus.

Toujours est-il que je ne suis pas arrivé à transformer ma documentation en visualisation. J’ai décidé de recycler le produit de ma démarche en “une réflexion” : un texte sans prétention et, pour ceux qui le souhaitent, d’échange. Le sujet est vaste, mon expérience minime et mon appétit féroce. Donc, ne vous gênez pas de me faire part de vos trouvailles, connaissances et expérience. Mon nom est Daniel Parent et je vous remercie de me laisser vos commentaires sur le site mabornederecharge.ca, ou autre.

Il ne vous sera donc pas conseillé ici de vous étendre et de fermer les yeux -cela dit, rien ne vous empêche de le faire- mais plutôt de garder les oreilles bien ouvertes et l’esprit alerte. Je ne promets rien mais vous y trouverez peut-être matière à sourire et même à réflexion.

Dans La chanson des vieux amants, Jacques Brel déclame (insérer extrait Brel vieux amants)  : “finalement, finalement, il nous fallut bien du talent pour être vieux sans être adultes”.  Personnellement, il me fallut beaucoup de temps pour comprendre cette affirmation. À l’adolescence, je croyais à un oxymore, une simple figure de style surtout destinée à garder l’esprit de l’auditeur à l'affût. Comme un jeune vieillard, un silence éloquent ou une nuit blanche. Plus tard, j’ai compris que Brel avait vraiment un problème avec le monde adulte. Par exemple, en s’adressant à son ami Fernand récemment décédé, il lui confie(insérer extrait Brel Fernand) Et puis les adultes sont tellement cons/ Qu'ils nous feront bien une guerre/ Alors je viendrai pour de bon/ Dormir dans ton cimetière.

Bon, je me suis dit le Grand Jacques est un ado attardé qui refuse de vieillir. Conviction qui fut d’ailleurs renforcée, à mon grand chagrin, lors de son décès prématuré dans la jeune cinquantaine. Finalement, ce n’est que récemment que j’ai entendu cet extrait d’entrevue accordée à Lise Payette et Jacques Fauteux -lors d’un rapide passage par Montréal dans les années soixante-dix- dans laquelle il nous donnait sa définition personnelle de ce que signifiait être un adulte pour lui. (insérer extrait Brel entrevue). Il y disait en substance qu’un adulte est une personne qui, tôt dans sa vie, cessait de marcher, cessait d’avancer, prenait un siège mais continuait de croire qu’elle continuait de marcher! Alors qu’elle était assise. Immobile. Un adulte est une personne qui arrête de marcher. Alors on comprend mieux son désir de vieillir sans être adulte, lui qui ne s’est jamais arrêté, jamais assis sur ses acquis.

Je me suis attardé un moment à ce phénomène du passage à l’âge adulte et du risque de devenir un “adulte” au sens où l’entend Brel. Et je me suis rendu compte que c’est un phénomène qui concerne plus de gens que l’on serait porté à croire. 

L’enfance est l’âge de la découverte et des grands apprentissages : On court, on grouille, on fouille. On bafouille, on chambranle, on tombe. Le nombre de bobos sur les genoux. Tout est à découvrir, à apprendre, à s’approprier. C’est l'âge où tout n’est pas encore possible mais où l’erreur est permise et parfois même, encouragée. 

L’adolescence c’est l’âge des grands changements et des choix. Sauter les clôtures. Découvrir son corps et celui de l’autre. S’interroger sur ses intérêts, ses ambitions. Développer ses habiletés. S’affranchir.  L’éventail des possibles s’élargit et l’erreur est encore tolérée.

Finalement, à l'âge adulte, on devient responsable, autonome et indépendant. Finis les enfantillages. On est une grande personne et fier de l’être. On affirme ses droits, réclame sa place au soleil et exerce son autorité. On montre la voie aux jeunes. Tout, ou presque, est maintenant possible mais l’erreur peut être fatale. 

Or, pour beaucoup de personnes, ce passage s’accompagne d’un rejet du monde de l’enfance. On “sort” de l’enfance. Or, et c’est le cas de le dire, on jette souvent à ce moment-lè, le bébé avec l’eau du bain. Car il arrive alors que l’on mette aussi un terme, non seulement à la dépendance et la tolérance envers soi, mais aussi à la capacité d’émerveillement, à l’éclosion de la spontanéité, à la joie de la découverte et au plaisir de l’apprentissage. C’est un grand sentiment de liberté et d’indépendance qui nous habite alors. Enfin libre. On ignore ou on oublie, souvent que cette période qui débute sera suivie d’une autre ou cette indépendance pourrait être remise en question. 

Mais ne sautons pas les étapes. Imaginons une personne adulte

  • une personne forte et indépendante

  • fermement accrochée aux principes, aux règles en vigueur à la fin de son adolescence,

  • une personne absorbée par son travail, ses responsabilités, ses devoirs,

  • aveugle aux changements qui animent la société pendant trente ou quarante ans

  • une personne adulte quoi. 

Imaginons une personne adulte, donc, qui prend tout-à-coup conscience, 

  • à l'âge de la retraite par exemple, 

  • à un moment de sa vie où elle a le loisir d’observer le monde autour d’elle, 

  • au moment où ses propres enfants, devenus à leur tour adultes, affirment leur indépendance et remettent en question son autorité et ses capacités

  • au moment où ses forces diminuent et sa santé vacille, elle prend donc conscience qu’elle redevient dépendante des autres, de leur bon vouloir, qu’elle ne reconnaît plus le monde de son adolescence, qu’elle a perdu ses repères, son cercle social s’est restreint.

Imaginons cette personne adulte, qui prend tout-à-coup conscience, que les choses ont changé : Terre des Hommes a fermé, les Beatles ne sont plus en tête du palmarès et les billets d’autobus à 25 sous ne sont plus valides.

Un héros de la classe ouvrière qui sort de la mine après 40 ans, sale et usé, qui se retrouve dans un monde neuf, aseptisé, dans lequel il ne retrouve plus sa place, dans lequel il gène, dans lequel, en échange de la quasi totalité de son chèque de pension, on l’installe gentillement dans un joli mais minuscule appartement, à l’écart de la vraie vie, en compagnie d’autres héros déchus, tous en attente … du prochain occupant.

Ne soyons pas surpris de l’entendre radoter “Dans mon temps, on agissait pas comme ça”, “Les jeunes! Tous des fous!”, “C’est tout arrangé par les gouvernements …” 

Nous les connaissons et reconnaissons tous ces personnes qui, selon le caractère de chacun, exprimeront de la hargne ou de l’agressivité, manifesteront de l’incompréhension ou du rejet, montreront des signes de résignation ou de révolte. Parce qu’un jour, par choix ou par nécessité, ils se sont crus devenus des adultes, forts et indépendants.

Mais tout le monde ne connaît pas ce sort. L’amélioration des conditions de vie, l’éducation, la santé, une certaine prospérité ont permis à un grand nombre d’individus de faire d’autres choix, de rester connectés au monde et à son évolution, se maintenir à jour au niveau de leurs connaissances et habiletés, actifs physiquement et socialement, de “rester jeunes” en quelque sorte. Certains ont même su garder un peu de leur cœur d’enfant : de l’innocence, de la candeur, de l’imagination, de l’émerveillement ou carrément… de l’immaturité!

Tout n’est pas rose pour autant. Dans ma prochaine capsule, je traiterai de l’isolement.

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